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mercredi 14 octobre 2015
Habib Bourguiba
Pour un socialisme humaniste,
Essai d’analyse d’un discours
Beyrouth,
10 mars 1965.
Par Henda Zaghouani-Dhaouadi
Docteur en Sciences du Langage
Université Jean Monnet - Saint-Étienne
« Ces monts du Liban, qui ont donné leur
beau nom
à ce magnifique pays, sont riches de vertus
qui captivent
le cœur et font surgir dans l’esprit séduit
bien
des nobles pensées et d’antiques
souvenirs… »
Habib Bourguiba
DISCOURS DE BEYROUTH
Résumé
Cet
article se penche sur le socialisme de Bourguiba qui prend dimension humaniste.
Dans ce sens, toute la conception de l’homme comme un acteur lucide et
responsable, et comme un Esprit libre, incite l’orateur à donner à cette
doctrine des dimensions d’universalité dépassant les individualités. Le pèlerinage
de Bourguiba au Moyen-Orient serait-il à l’image de ces philosophes et
orientalistes du 18-19ème siècles, comme un retour aux sources, mais
aussi, et comme l’annonce la fin de ce discours, un feu régénérateur incitant à
l’action et au renouvellement ?
Mots-clés
Socialisme
humaniste, analyse du discours politique, philosophie du langage.
Abstract
This paper is about Bourguiba’s socialism which has a universal dimension. Actually all the human conception as a minded and
responsible actor, and as a free mind, pushes the orator to give universal
dimensions to that idea going over individualities. Is the eastern Bourguiba’s Tour
like the image of those eastern philosophers of the 18th -19th
centuries, as a back to origins and as the announcement, at the end of this
speech, of a regenerating fire pushing through action and renewal.
Keywords
Humanising Socialism
Political
Discourse Analysis
Language’s Philosophy.
Préliminaires
La pensée socialiste de Bourguiba a longtemps été
déformée. En théorie, Bourguiba pensait le socialisme comme un idéal humain par
l’influence de divers courants philosophiques. L’engagement politique auquel
répond et appelle Bourguiba s’inscrit tout à fait dans sa conception du
socialisme comme une voie pour dépasser une politique et une culture de
l’individualisme et promouvoir la coopération et l’amitié avec les autres
peuples du monde. De l’échelle des individus elle atteint les cinq continents
dans une totale synergie des différences. L’idéalisme de l’orateur prend ainsi
non seulement dimensions humanistes, mais conduit à une réflexion sur ce qu’E.
Morin appelait en 1965 une « anthropolitique» où la politique est une
promotion de l’Homme.
C’est un socialisme dont la source est un fond
philosophique rattaché à l’humanisme marxiste, mais sans que Bourguiba adopte
tout de sa doctrine. Il la remanie, l’enrichit et l’adapte aux besoins de son
époque, de son pays et de sa culture. Le socialisme dont parle l’orateur
s’inspire largement des Lumières et surtout de la première moitié du 19ème
siècle où il s’agissait de mettre l’accent sur l’esprit de partage dans une
pensée communautaire par opposition à une pensée individualiste. Notre orateur
aurait-il lu Pierre Leroux dans De l’individualisme et du socialisme publié
en 1834 dans la Revue
encyclopédique ? Ou encore le comte de Saint-Simon qui utilisa le
premier le concept de socialisme en 1827 ? Mais Bourguiba est aussi un
lecteur de Condillac et de sa philosophie de l’Esprit.
Nous voyons dans la pensée de Bourguiba toute la
philosophie socialiste naissante de la première moitié du 19ème
siècle, essentiellement utopique : celles de Fourrier, Louis Blanc en
France et Robert Owen au Royaume–Uni2. Le juste
partage des richesses, dans une même société, puis entre diverses nations,
forme le thème-projet de cette partie du discours. L’orateur insiste sur la
responsabilité de chacun face à l’urgence d’un socialisme humaniste.
Bourguiba parle ainsi de « philosophie
socialiste que le peuple tunisien a fait sienne pour laquelle il a opté quand
il a pris la ferme résolution de reconstruire la nation à partir de la
base ». Il exprime ainsi des réserves quant à l’application aveugle
d’une théorie philosophique ou économique lorsqu’il s’agit de s’en inspirer
pour réformer la société de son époque. Mais l’échec de l’expérience socialiste
ne remet nullement en question, selon notre approche, l’Idée essentielle d’une
pensée de partage et de communion où l’Homme est à la fois la finalité et
l’actant. Bourguiba évoque un socialisme dépassant l’échelle nationale pour se
projeter dans l’universel où les hommes parviennent, enfin, à la reconquête de
leur humanisme. Projet utopique certes, mais réalisable si l’idée de partage
devenait commune. Il s’agit donc d’un socialisme utopique, qui, sans nier la
réalité, cherche, néanmoins, à la modifier.
L’État et la Nation
Le premier point de cette partie du discours
concerne évidemment la définition du pouvoir dans lequel est mis en place un
système socialiste humaniste : pour
le tribun, le pouvoir s’exerce au sein d’une Nation, celle-là même qui est, aux
yeux de Hegel, l’accomplissement de la conscience humaine dans l’Histoire, son
point culminant et son ultime concrétisation. Pour le tribun, « le
cadre de la nation est le meilleur pour la promotion de l’individu et
l’épanouissement de son être : le fait national élargit l’horizon vital de
l’individu et lui fournit des conditions nettement plus favorables à son
évolution, au développement de son moi, en un mot à son progrès ». Le
concept de « Nation » découle chez Bourguiba d’une formation
philosophique essentiellement occidentale et maçonnique. Son nationalisme est
ainsi différent de celui de Nasser, exclusivement imprégné de panarabisme et de
culture orientale et islamique. Le nationalisme de Bourguiba est un principe
que maîtrise fort bien la raison, ce n’est pas une action émanant des passions.
Dans le cadre de l’État, la raison devra prendre le dessus.
Ainsi l’histoire montre, selon le tribun, que le
rôle de la nation est positif du moment qu’il contribue à élever l’Homme et à
le promouvoir. Chaque citoyen pourra ainsi progresser vers l’idée de protection
de l’homme en œuvrant pour la sauvegarde des individus. Dans ce sens, l’État
doit continuer à œuvrer pour une
sociabilité où les liens de solidarité et de cohésion entre les individus
seront développés. Ainsi, les civilisations pourront survivre à la déchéance
morale, culturelle, politique et humaine.
Á ce propos, Bourguiba donne à nouveau l’exemple des
Prolégomènes d’Ibn Khaldoun où est analysé le processus de la genèse des
nations dès l’Antiquité et leur mouvement cyclique de vie, de croissance puis
de mort. Bref, l’État est, comme le pense Hegel, présent en interdiscours chez
Bourguiba, « la forme concrète que prend la rationalité dans le monde
moderne ; se soumettre à l’État représente un progrès humain, car cela
revient à accepter d’agir conformément à la raison plutôt que conformément à
l’arbitraire de la volonté (…) L’apparition de l’État constitue donc une étape
décisive dans l’histoire, puisque grâce à lui les hommes accèdent à la
dimension civile (et non plus sociale) de leur existence, dimension dans
laquelle ils peuvent agir sur leur destin »3.
Le concept de Nation est donc d’une importance
majeure puisqu’il prend le sens de « naissance » dans la langue
latine, puis celui d’un « berceau géographique, historique et culturel
d’un groupe humain » partageant des coutumes, des mœurs et une ou
plusieurs langues communes. Comme dans le discours de Bourguiba, la Nation a cette
particularité de définir le groupe culturel et historique, première acception
du vocable qui pointe la caractéristique ethnique du rapprochement liminaire
des hommes.
Mais une Nation n’est pas uniquement une entité
culturelle, ethnique et historique, elle est aussi politique puisqu’elle
renvoie, dans les faits, à un groupe d’humains acceptant de vivre ensemble. Les
problèmes posés par cette double signification sont en rapport étroit avec les
questions de diversité et donc de complexité « notamment pour les pays de
taille importante, comprenant une diversité et une variété de nations. Mais
l’unité politique des nations est intrinsèquement problématique. »4. Pour Bourguiba, le vocable de Nation
est en rapport étroit avec celui de Patrie, et l’on devine bien son acception chez
l’orateur comme une entité politique en plus de l’unité culturelle, ethnique et
historique. Il semble bien cerner ce concept qu’il manie avec habileté et dont
il apporte des arguments toujours inscrits dans un cadre historique et
philosophique.
La Tunisie et le Liban ont connu et expérimentent
encore- du moins pour le cas du Liban- la diversité (culturelle, ethnique et
politique). La Tunisie au cours de son histoire fut sujette à plusieurs
invasions étrangères. Histoire mouvementée où des moments de prospérité
aboutissaient de façon systématique à des périodes de dégénérescence. En ce
sens, Bourguiba annonce d’un ton grave : « la genèse de la Nation s’est arrêtée chez
nous, comme dans la plupart des pays d’Orient, au simple stade de la
gestation. » Le discours prend une tonalité tragique : l’élaboration
de la nation demeure tout simplement au stade de gestation d’où la difficulté
de la situation dans les pays d’Orient.
Il y a donc urgence.
Le ton solennel n’empêche pas l’envie d’aller vers
l’avant afin d’inciter les générations futures à prendre en main cette mission
civilisatrice que constitue la création de la Nation. « Et c’est
précisément ce fait qui nous impose comme un devoir impérieux envers nos
peuples, si nous voulons travailler pour leur bien et leur assurer des
conditions suffisantes d’invulnérabilité, de prospérité sociale et de progrès
ininterrompus, de mener cette genèse à son terme normal d’accomplissement et de
perfectionnement, et de parachever le processus de la cohésion définitive de
tous les éléments humains qui constituent nos sociétés, en les intégrant d’une
façon durable et ferme au sein de la
Nation. »
L’engagement de l’orateur apparaît comme une
reconnaissance du rôle-clé que joue l’homme d’État dans le progrès
humain : la genèse de la
Nation devra être poursuivie et infiniment rénovée, car c’est
par elle que l’on peut réaliser la concordance humaine selon Bourguiba. Comme
il le rappellera dans l’un des discours de Dakar en 1965, les plus petites
unités forment les plus grandes. Ce projet est évidemment en relation
intrinsèque avec le socialisme humaniste que Bourguiba rêvait de mettre en
place. Il s’agit bien là d’un socialisme utopique imprégné des idées humanistes
du tribun. Le concept de « nation » apparaît fondamental dans celui
de l’État et de la relation qu’il entretient avec les citoyens. La raison qui
doit guider vers la promotion de l’homme, est une valeur propre de toute nation
dont l’existence n’a de sens que dans les rapports d’égalité entre les
citoyens. Pour aboutir à penser l’égalité dans la société humaine, il faut
avoir observé l’individualisme pour le dépasser vers un humanisme atteignant
des dimensions d’universalisme.
Un socialisme adapté aux besoins et réalités propres
Du Maghreb et du Moyen-Orient.
La doctrine marxiste est mal vue par les musulmans
car on pense, injustement d’ailleurs, qu’elle prêche la non croyance et
l’athéisme. Marx n’a jamais appelé à la non croyance, même s’il a analysé et
critiqué la pensée religieuse. Il avoue même, bien qu’il y trouve une certaine
supercherie, que l’homme est un être spirituel qui a besoin de religion. Du
coup, il considère que l’ignorance et l’interdiction des religions comme cela a
été fait dans le système communiste, peuvent être fatales pour les humains, car
cela les plongerait dans la barbarie. L’homme a besoin de croire en ce qu’il ne
voit pas puisque sa perception des choses n’est pas uniquement matérialiste,
mais largement spirituelle. Nous retrouvons ainsi la phénoménologie de la
perception hégélienne qui a tant inspiré Marx et la pensée en mouvance de
Bergson qui est sous-jacente au discours du tribun: l’intuition et les
impressions sont donc des perceptions humaines, mais aussi un mode de pensée
que l’homme doit garder en même temps que la perception scientifique et
matérialiste du monde et des choses. La religion n’est donc pas mal vue par
Marx et Engels et rien n’empêche de s’abreuver de son humanisme pour
concrétiser un système d’échange équitable entre les hommes.
Pour Bourguiba, « les voies du socialisme sont
ardues, semées d’embûches. ». Il approuve donc l’idée importante et qu’il
nous faudra souligner ici, que le socialisme n’est pas une science finie
obéissant à un certain déterminisme fixiste. On peut l’envisager selon les
divers espaces géographiques et politiques en respectant de surcroît
l’Histoire. Il fallait donc, pour Bourguiba, de choisir entre ses diverses formes: « socialisme
scientifique et socialisme utopique, socialisme marxiste et socialisme non
marxiste ». Il pense qu’il ne peut y avoir « un genre de socialisme
valable pour tous les temps et tous les pays ». Celui dont parle l’orateur
refuse l’idée que le prolétariat dirige un pays sans nier pour autant
« l’existence de plusieurs classes dans la société ». Le socialisme
doit être impérativement renouvelé et sans cesse contextualisé. Cela évoque
pour nous l’indéterminisme foncier qui caractérise la pensée politique de
Bourguiba contrairement à ce qu’on pouvait penser de lui.
Ainsi, les classes sociales n’ont pas pour fonction
de s’opposer les unes aux autres « dans une lutte de caractère
inexpiable ». Leur cohésion permet en revanche de dépasser les systèmes
totalitaires où les riches sont totalement spoliés de leur fortune et la libre
concurrence a pour « effet de lâcher la bride aux appétits insatiables des
individus comme à ceux des groupements politiques ou sociaux, ce qui mènerait
tout droit à la loi de la jungle ». Par cette condamnation, le socialisme
de Bourguiba s’apparente, à nos yeux, plus au socialisme dit « utopique »
où s’inscrit une recherche fondamentale du collectif. Le passage d’une
« conscience individualiste » à une « conscience
collective » rappelle en filigranes la pensée du philosophe Français
Pierre Leroux. Il revendiquait « l’invention » d’une morale
collective appuyant la solidarité entre individus, par opposition à
l’individualisme. Cette ambition est aussi pour lui « La doctrine qui ne
sacrifiera aucun des termes de la formule Liberté fraternité égalité. Ce
n’est pas d’une doctrine qu’il s’agissait, mais d’une éthique ce qui
transparaît dans le discours de Bourguiba.
Dans un esprit épique, l’orateur considère que toute
la société devra se regrouper si elle aspire à améliorer sa situation, dans une
ligne de progrès par étapes successives et mûrement réfléchies : « Le
socialisme en fin de compte, ne doit-il pas, dans son ultime étape, aboutir à
unifier la Nation
en un seul corps dominé par un esprit commun et une volonté commune de
solidarité, d’entraide et de fraternité ? »- interroge le tribun qui
prend le terme de « socialisme » dans un sens tout à fait
différents : se soutenir et collaborer en travaillant à accomplir une
concorde sans précédent entre individus d’une même société et entre peuples
divers. Trop idéaliste peut être, mais très réaliste aussi, Bourguiba s’en
tient à sa réflexion propre sur la société tunisienne.
C’est de là que découle sa conception humaniste du
socialisme. Il est à cet égard, une philosophie dont les principes permanents
envisagent la promotion humaine et la mise en place d’un système d’échange plus
juste. Mais le socialisme est aussi une philosophie inscrite dans une réforme
perpétuelle de l’esprit, selon le tribun.
« Principes permanents de la philosophie
socialiste »
Le titre choisi par Bourguiba présente le socialisme
tel qu’il l’a conçu lui-même pour la Tunisie. Il s’inspire donc d’un fond théorique
constant et fixe et non pas des diverses applications mises en pratique dans
certains pays. Pour l’orateur le socialisme, « dans ses principes
généraux, remonte fort loin dans le passé et se retrouve dans plusieurs
sociétés humaines et en diverses religions ». Son sens premier rend compte
des valeurs de solidarité, d’entraide et de coopération entre individus et peuples « en vue d’affronter
les nécessités de la vie.»
Il
est ainsi « un des moyens de combattre et d’enrayer l’égoïsme effréné et
la cupidité insatiable, dont les effets condamnables s’observent notamment
lorsqu’un individu ou un groupement politique, social ou financier entreprend
au détriment des autres individus ou éléments de la société, l’exploitation
éhontée de ses compatriotes. »
L’égoïsme et l’individualisme exacerbent les
rancunes et les conflits au sein de la communauté. Le rêve de Bourguiba est de
mettre en place un univers où le socialisme est humanisme, c’est-à-dire qu’il
prend en compte les intérêts de chacun respectant ainsi les droits et les
libertés des individus tout en les renvoyant à leurs devoirs de concitoyens, un
socialisme de solidarité et de justice se réalisant dans la durée. Cela
implique qu’il n’y a pas de solution miracle aux conflits et à la misère, c’est
l’œuvre de chacun que de continuer à se battre pour un univers de solidarité
par les associations et le travail collectif. L’épanouissement de l’humain
s’avère être l’affaire de toute une communauté et non pas uniquement celle d’une
minorité.
La solidarité est commune à l’humanité qui doit la
nourrir, selon le tribun: les collectivités, les individus sont son essence et
sa forme, comme il l’explique car c’est du destin de tous qu’il s’agit. Pour
Bourguiba, « la société est telle que la veulent ses propres membres, et
son intérêt tel qu’ils le décident eux-mêmes après en avoir délibéré entre eux,
à la suite d’un examen attentif des problèmes qui leur sont communs ». Il
est donc important de souligner que les idées de démocratie, de liberté et de
solidarité, inhérents à la définition du pouvoir, font partie de la philosophie
socialiste selon Bourguiba qui apparaît comme un éducateur du politique. Cet
enseignement vise à inciter les individus à s’approprier leur destin propre par
une pensée de solidarité agissante. L’éthique du partage et de communauté est
aujourd’hui encore à l’état de projet même si dans son utopisme le plus
profond, elle demeure fondamentale pour la concrétisation de l’humanisme futur.
L’orateur ajoute que le « socialisme de démocratie
constitutionnelle », « signifie clairement que le socialisme est
inséparable de la liberté et de la démocratie ». Il est question de fonder
une société où les idéaux démocratiques et l’égalité des citoyens apparaît
comme des principes permanents c’est-à-dire en perpétuel développement. Mais
dans la liberté, il n’y a pas de place à la dictature et à la démagogie
politique, religieuse, économique ou ethnique « de sorte que les droits et
les libertés des individus se trouvent être fonction des intérêts supérieurs de
la collectivité et des exigences impérieuses de son évolution. » Bourguiba
s’inscrit dans l’esprit de la
Déclaration des Droits de l’Homme. En effet l’article IV
stipule bien que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit
pas à autrui. Ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme, n’a de
bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance
de ces mêmes droits : ces bornes ne peuvent être déterminés que par la
loi. »
Nous y saisissons la conception de la liberté chez
Bourguiba, qui n’a de sens que dans le nécessaire respect des droits et des
devoirs de chaque individu. Elle est, comme il le rappelle, en rapport étroit avec les choix et les lois
opérés par la collectivité et comme le souligne aussi l’article VI de la Déclaration des droits
de l’homme : « la loi est l’expression de la volonté générale ».
Bourguiba est donc largement inspiré des Lumières dans sa conception de la
démocratie. Il était bien en avance par rapport à son époque où le peuple
tunisien n’avait pas encore eu le recul et l’esprit d’ouverture nécessaires
pour intégrer dans son univers de telles valeurs. Il en était conscient. Ce
décalage est sans doute à l’origine de la difficulté qu’a eu Bourguiba dans la
mise en place d’un régime démocratique fondé sur le pluralisme et la
concertation tel qu’il en était profondément convaincu… Au cours d’un récente
entrevue avec M. Mohamed Sayah qui fut Ministre de l’Éducation en Tunisie, nous
avons eu confirmation de cette idée : le peuple n’était pas encore formé à
la démocratie qui n’a jamais fiat partie ni de sa culture, ni de sa conception
du pouvoir. Il était difficile de concevoir l’idée de concertation dans le
respect des divergences. Les siècles de régime monarchique ont surtout appris à
beaucoup, qu’on ne pouvait prendre le pouvoir que par le coup d’État. C’était
d’ailleurs une habitude pendant la période beylicale.
Le socialisme destourien n’est donc pas exactement
la social-démocratie, historiquement issue du marxisme (même si les
associations philosophiques et idéologiques avec ce courant ont été rompues),
en même temps qu’il se reconnaît dans le parlementarisme, il nie le socialisme
réformiste dont la visée est le dépassement du capitalisme, l’avènement d’une
société socialiste et de l’appropriation collective des moyens de production.
L’État demeure, pour Bourguiba, un actant nécessaire dans le partage équitable
des richesses. En développant une éducation du collectivisme et de l’entraide,
l’État s’implique de façon réelle dans la vie des hommes. Ces valeurs trouvent
par ailleurs leur source dans le socialisme utopique et essentiellement dans
celui de Fourrier et de Owen. Bourguiba, dans sa vision du socialisme, a tenté
une synthèse philosophique en rupture totale avec les pratiques réelles qui ont
mené l’expérience socialiste à l’échec. C’est du moins ce qui nous apparaît
aujourd’hui.
Le socialisme de Bourguiba, comme cité supra,
impliquant une éducation de la conscience individualiste à une
« conscience collective », semble encore aujourd’hui de l’ordre de
l’utopie. « Le but suprême du socialisme- rappelle l’orateur- est de
conduire individus et classes, par étape successives, et en aidant à la prise
de conscience par le moyen de l’éducation et de la persuasion- et s’il le faut
par voie de contrainte- vers le plus haut degré possible de « conscience
collective ». Bourguiba croit au
dynamisme de l’éducation aidant les hommes à se libérer de leurs
« impulsions égoïstes » dans la construction de la « nouvelle
société socialiste ». Cet idéal de société ne peut avancer que
« grâce à une impulsion de chacun vers des objectifs certains de
prospérité, de dignité et de liberté pour l’ensemble des individus et des
classes sociales qui la composent. » Le tribun est porteur de valeurs
humanistes de partage et de solidarité entre les individus et entre les
nations. Dans ce sens, le socialisme évolue dans sa pensée vers un humanisme
universaliste. Cette conception est en rapport avec ce qu’il considère comme la
« fonction sociale » que remplit chaque individu.
« La fonction sociale »
Le socialisme n’a pas uniquement pour visées
d’établir un parti politique et d’appliquer des modèles de croissance
économique. Ce ne sont là que des sujets secondaires face à ce qui est
véritablement nécessaire pour le tribun, à savoir « repenser tous les
concepts sous-jacents aux diverses doctrines politiques, économiques et
sociales »5 Il s’agit en effet de
reconsidérer la conception même de l’Homme et de sa place dans l’univers qu’il
construit. Il ne vit pas en dehors de la collectivité, mais il est tel que le
définit Bourguiba, un « « être social » » qui ne peut
exister et se construire « qu’en tant que cellule du corps social et qui
ne peut se réaliser, évoluer et s’épanouir que dans le cadre de la
collectivité. » Nous retrouvons ici la conception khaldounienne6de l’homme comme un être social et
culturel :« la civilisation (al-‘umrân), c’est-à-dire la cohabitation
(tasâkun wa tanâzul) des hommes dans les villes (misr) et sous les tentes, pour
satisfaire leurs besoins, car la coopération (ta’âwun) est dans la nature des
hommes. ».7 Les humains ont donc une
« « fonction sociale » » à accomplir que Bourguiba
considère comme la condition même de leur humanisme –puisqu’elle leur permet de
se construire en tant qu’individus - définissant ainsi la
« « responsabilité existentielle » » de chacun. Il s’agit
donc de mettre en avant l’idée que les citoyens d’une même communauté sont
impliqués dans un même combat : celui des intérêts collectifs. La société
est donc une forme complexe d’association entre individus ; elle l’est
d’autant plus que l’individu ne l’est lui-même que par son appartenance à la
collectivité dans laquelle il vit et avec laquelle il partage ses intérêts. Il
y a là encore la pensée de Rousseau
selon laquelle le pacte social a des effets bénéfiques sur l’homme
puisqu’il lui permet de passer de l’état de nature à l’état civil, c’est-à-dire
de l’état de l’homme quand on lui enlève ce que la société lui a apporté de
particulier (les liens sociaux) à l’état de société. Mais nous y décelons
aussi des fragments de la pensée politique et théologique de Spinoza qui dans
un texte célèbre8 se demande à quoi sert la
société. Pour lui, la société est indispensable comme protection, mais aussi
comme commodité « Ce n’est pas seulement parce qu’elle protège contre les
ennemis que la société est très utile et même nécessaire au plus haut point,
c’est aussi parce qu’elle permet de réunir un grand nombre de commodités ;
car, si les hommes ne voulaient pas s’entraider, l’habileté technique et le
temps leur ferait également défaut pour entretenir leur vie et la conserver
autant qu’il est possible. » Pour lui, même les barbares se soutiennent
montrant ainsi que les hommes ne pourraient vivre hors de la société. Nous
percevons de même l’idée que le corps de la société désigne un ensemble
solidaire dont la justice entretient l’ordre par ses réglementations.
Qu’est-ce que le lien de société ? C’est ce que
définit Bourguiba sous l’influence, nous semble-t-il, d’Alain, pédagogue et
philosophe qui lui était contemporain (1868-1951). Dans ses Définitions, la
société est l’« état de solidarité, en partie naturelle, en partie voulue,
avec un groupe de nos semblables. (…) La véritable société est fondée sur la
famille, sur l’amitié (Aristote), et sur les extensions de la famille. »9 Á cet égard, nous comprenons ce lien de
solidarité dont parle Bourguiba, et qui permet à chacun d’avoir les mêmes
droits que son voisin : le travail et toutes les activités humaines dans
laquelle on s’accomplit et qui sont des « fonctions sociales ». Elles
visent la solidarité mutuelle pour la prospérité de tous. Dans ce cadre, le
concept de « « droit » tend à se rapprocher » de celui de
« devoir » selon l’orateur qui les fusionne sciemment. « Les
deux notions » viennent à « se confondre dans un concept unique,
celui de « fonction sociale »».
Dans ce cadre, le socialisme est pour Bourguiba une
philosophie qui « ne peut avoir
qu’une seule fin suprême : l’Homme, ce qui en fait une forme des plus
exaltantes de l’Humanisme moderne. ».
Il dépasse donc le cadre de la nation, pour s’universaliser prenant
ainsi des dimensions plus importantes dont l’envergure permet un « dialogue
permanent et créateur entre civilisations et cultures »10. Le socialisme de Bourguiba est ainsi
différent de celui pratiqué dans le monde arabe de l’époque où ses visées sont
essentiellement nationalistes. Bourguiba dépasse le cadre de la nation pour
embrasser l’universel : il s’agit de construire un socialisme universel et
humaniste où le dialogue des cultures et des civilisations ouvre la voie à la
paix entre les humains. Ce sont les valeurs qui annoncent aujourd’hui, mais
sans le savoir, le concept même de Terre-Patrie qu’Edgar Morin développe dans
sa philosophie.
«La doctrine la plus propice au dialogue permanent
et créateur entre civilisations et cultures »
Le socialisme tel que vient de le définir Bourguiba
est un système idéal de pensée permettant d’éviter l’enfermement « dans
les limites étroites d’une société ou d’un peuple » et formant ainsi
« la doctrine la plus riche en possibilités de coopération et de
solidarité entre nations et collectivités, la plus propice au dialogue
permanent et créateur entre civilisation et cultures. » Le socialisme est
ainsi une pensée qui s’inscrit dans une éthique humaniste et universaliste dans
le sens où son objet est la promotion de l’Homme comme un être à la fois
individuel et collectif. Sa dimension collective ne s’arrête pas à la société
qui lui a donné naissance, mais s’élargit au monde entier. C’est donc une
doctrine d’universalité de l’Homme lui permettant, grâce au contact avec
d’autres langues et cultures, de construire un humanisme toujours nouveau,
authentique s’inscrivant dans un processus d’enrichissement infini entre
individus de divers pays. Cette dimension est à réhabiliter de nos jours où
conflits et guerres (ethniques et religieuses) reprennent dans une violence et
une férocité accrues.
Á l’époque où Bourguiba prononçait ce discours, il
soulignait déjà l’idée que le monde était en plein changement et que cela se
traduisait par deux « phénomènes caractéristiques : celui de
« l’accélération de l’histoire », qui a singulièrement modifié les
événements dans leurs dimensions et leur portée, et celui de
l’ « abolition des distances », dû à l’extrême rapidité des
moyens de transport ». Mais aujourd’hui, cela mène aussi irrémédiablement
aux conflits et à la barbarie. Le contact entre langues et cultures est le
moyen de construire une civilisation fondée sur l’humanisme et le partage. Le
progrès doit donc englober toute l’humanité afin de continuer à progresser dans
le sens du perfectionnement infini. Ainsi Bourguiba insiste bien sur cette idée
d’une civilisation de l’universel dont la Francophonie est l’exaltation et la
figure. Il souligne dans un ton solennel et épique « Il n’est point de vœu
plus cher à mes yeux que de voir les peuples se lancer, avec enthousiasme, au
cœur de cette prodigieuse et pacifique aventure, en vue d’édifier cette civilisation
à l’échelle de la planète, qui commence à couvrir les cinq continents et est
appelée à faire le bonheur du genre humain dans sa totalité. Cet enjeu me
semble des plus exaltants et des plus propres à stimuler le zèle ardent et
créateur des nations, et notamment, de celles qui appartiennent aux grandes
familles spirituelles du monde. »
L’idéal universaliste de l’orateur est exprimé
franchement et sans détours. C’est vers la construction d’un univers plus pacifique, plus juste et
plus égalitaire que tendent les mots du discours. Ils incitent à l’action
stimulant dans l’auditoire l’aspiration de chacun à se reconstruire. Il en
parle en termes de « compétition » qui est « une de ces grandes
tâches humaines » devant être « menées sans fin et sans
relâche » : une sorte d’acharnement positif pour un univers de paix
et justice, et dans lequel la question de la dignité – question rousseauiste et
hégélienne que l’on retrouve notamment chez Montesquieu- est à la fois le but
et la cause. La dignité de l’homme est bien la raison du combat de tout homme
pour se libérer de sa situation d’esclave afin de devenir maître, actant et
responsable, agissant dans le sens du déroulement de l’Histoire qu’il
construit, fruit de son intelligence et de sa labeur.
Voici donc un orateur pour qui l’avenir de
l’Humanité est la responsabilité de chacun, et le bonheur à accomplir un idéal
des plus importants. Mais un orateur bergsonien qui place cet idéal de
civilisation dans une « vitalité créatrice » nécessaire pour son accomplissement.
Il lui paraît donc légitime et « normal que chaque nation aspire à la
part la plus grande possible dans un tel enjeu, au rôle le plus éminent dans
cette compétition pour la promotion d’une civilisation planétaire ». Les
mots son dits mais l’exigence est évidemment le « propre potentiel de
civilisation » de chaque nation, « de sa vitalité créatrice, sur le
plan intellectuel, du zèle qu’elle met, par le moyen d’une coopération loyale,
d’échanges culturels exempts d’arrières pensées, et d’un dialogue fructueux
entre sociétés et civilisations, à nourrir de toutes leurs richesses propres
l’effort collectif de l’humanité ».
Discours épique, révolutionnaire et réformateur.
Bourguiba est cet éducateur intransigeant qui ne veut rien laisser au hasard,
l’homme est un être responsable et c’est dans ce cadre que se définit sa
liberté, ses droits et ses devoirs. La
question est de savoir jusqu’où peut-on s’engager dans cette voie ?
Jusqu’où peut-on pousser l’idéalisme ? Bourguiba en appelle à une éthique
du don de soi, de la générosité et de l’esprit collectif par opposition à
l’esprit individualiste, égoïste et surtout nourri de préjugés sur autrui. Cet
esprit est celui qui devra régner désormais dans notre univers actuel.
Bourguiba apparaît ainsi comme un visionnaire qui a
su poser les vraies questions, celles qui ont soulevés les peuples et qui les
soulèvent encore aujourd’hui, notamment les questions du rapport entre religion
et identité dans l’esprit de beaucoup. Dépasser ce paradigme, c’est apprendre à
se reconstruire différemment en se plaçant dans le courant de l’Histoire et non
uniquement dans un passé révolu. Bourguiba met les hommes face à
l’Histoire : les regards sont à diriger vers les accès de violence qui
pourraient détruire la vie. Notre époque
est bien marquée par ce problème : on risque de sortir mieux humanisés des
conflits comme on peut se démanteler progressivement et ne laisser derrière soi
qu’un désert de ruine. C’est par l’empire de la raison et par la tempérance que
les hommes peuvent dépasser leurs passions et leur barbarie.
L’orateur en appelle à une raison intelligence dans
laquelle la passion se transfigure en une volonté de faire reculer ces fléaux
qui, tout en accompagnant les civilisations, leur édifice et leur
anéantissement, semblent nécessaires pour dépasser à chaque fois nos crises. Á
cet égard, nous pouvons rappeler Edgar Morin pour qui « la barbarie n’est
pas seulement un élément qui accompagne la civilisation, elle en fait partie
intégrante. La civilisation produit de la barbarie, particulièrement de la
conquête et de la domination»11
Pour Bourguiba, éviter la barbarie et le repli, du
moins les diminuer, en s’engageant à accomplir « une civilisation
planétaire », est « une occasion inespérée de retrouver notre place
au sein de l’Humanité ». Il s’adresse ainsi spécifiquement au peuple
libanais, mais aussi au peuple arabe et aux hommes de toutes les cultures de
façon plus générale.
L’idéal est d’embrasser ainsi le monde dans la
tolérance des différences et d’un humanisme collectif, fruit d’une
« conscience collective » basée sur l’entraide. Pour l’orateur,
« l’histoire moderne avait lancé » aux peuples « d’Orient et à
travers eux, à toute la civilisation qu’ils représentent, un défi fondamental
et catégorique. » Il n’est donc plus question de faire machine arrière en
refusant d’assumer ce «défi fondamental et catégorique» qui est pour lui
une « occasion inespérée » souhaitant ainsi que cela le devienne au
vrai sens du terme, car cela « ne se renouvellera peut-être jamais de
retrouver (son) rang et (sa) place au sein de l’humanité»... Comment faire pour rattraper la caravane
universelle du progrès ? C’est finalement la question à laquelle tente de
répondre Bourguiba à travers ce discours. L’homme ne peut vivre en dehors du
Temps, car c’est dans cette dimension qu’il faudra s’inscrire selon
l’orateur : « le temps comme la vie est mouvement »
rappelle-t-il par référence implicite à Héraclite qu’il a déjà cité dans ce
discours, l’homme doit connaître « la nécessité impérieuse de vivre avec
le Temps » et de s’élever « au niveau des événements ».
Une remise en question permanente de nos croyances
et « des concepts fondamentaux de notre civilisation » rappelle
Bourguiba, mais « tout en restant fidèles à notre personnalité originale
et à notre génie propre. » Finalement, il s’agit de s’adapter au temps
sans perdre son identité originelle. C’est un précurseur de la pensée d’Edgar
Morin pour qui l’homme est fait d’une étoffe à trois dimensions temporelles
intimement liées l’une à l’autre : le passé (l’originel, l’Arke), le présent (l’actuel) et le futur
(l’idéal non accompli). Elles sont nécessaires pour renouveler la civilisation
humaine et pour sortir des crises.
Un épilogue poétique : perspectives
Comme l’exorde, le discours se clôt par une
rhétorique poétique dans laquelle une isotopie du feu donne à la parole
oratoire une dynamique revitalisante au-delà de son pouvoir destructeur.
Alliance des contraires où les mots agissent. L’art oratoire n’est pas
uniquement une invitation à la méditation ou à la rêverie utopique, il incite à
l’action, à la rupture avec l’ancien pour mieux renaître comme un sphinx naît
de ses cendres. La métaphore filée de la flamme qui s’attise porte une
dimension olympique raccordant l’Esprit et le Génie. C’est sur une note
optimiste que Bourguiba finit son propos. Mais un optimisme mobilisateur où les
mots jouent un rôle emphatique important renforçant par là la présence de
l’orateur dans son discours. De plus, l’injonction se déploie marquant ainsi un
engagement réel de la part de Bourguiba dans la mission civilisatrice d’un
peuple à la recherche d’une éthique de reconstruction à la fois humaniste,
culturelle et politique : le Moyen-Orient et le Maghreb n’ont pas encore
évolué vers cette voie. Les temps sont à la régression.
Cette perspective humaniste que la Didactologie des
Langues-cultures, notamment, s’efforce aujourd’hui d’approfondir, nous la
retrouvons dans le discours de Bourguiba. Nous pouvons donc y percevoir matière
à réfléchir sur le rapport à la langue, à l’enseignement des langues et des
cultures dans un espace d’échange où chacun comprend l’autre. L’édifice d’une
civilisation de l’universel dont a aussi parlé Senghor, le frère de lutte de
Bourguiba, ne peut se faire sans la coopération, la solidarité et l’entraide
entre peuples et nations. Pour l’orateur ce projet n’est pas impossible et il
le dit ainsi « cette tâche n’est pas, ce me semble, au-dessus de nos
forces, ni hors de la portée du grand génie de la Nation Arabe. Nous
serons à même de l’accomplir au mieux aussi longtemps que restera intacte dans
nos cœurs cette flamme de l’esprit et de la pensée qui a prêté son feu aux
flambeaux de tant de civilisations qui, durant nos époques glorieuses et
florissantes, ont jeté le plus vif éclat des rives du Golfe arabique aux bords
de l’Océan, et aussi longtemps que nous l’attiserons de toutes la ferveur de
cette ardente fraternité arabe qui ne cesse de nous unir à travers les
siècles ».
Ces mots de fraternité et d’humanisme sont à
rappeler aujourd’hui, car le monde arabe et musulman en a particulièrement
besoin pour se régénérer grâce à des symbioses, entre l’ancien et le moderne,
l’Occident et l’Orient, l’individualisme et l’universalisme, jamais encore
pleinement réalisées. Les mouvements religieux fondamentalistes sont un
témoignage vivant de cette difficulté qu’ont les musulmans à dépasser certains
clivages pour vivre leur foi sans en faire étalage et sans en profiter pour
réaliser leur soif de pouvoir. C’est à une banalisation de la foi que l’on
évolue malgré la fièvre qui domine et les conflits qui en sont générés entre
l’Occident et l’Orient. Le bilan des deux discours de Beyrouth est donc
clair : il s’agit de s’unir « par l’affection la plus sincère et
l’amitié la plus pure ». Ce dernier appel à la fraternité, à la paix et à
l’amitié, n’est-ce pas ce qui nous renvoie à notre humanisme, à notre culture
universelle originelle dont les berceaux sont les antiquités gréco-latine et
moyen-orientale, berceaux de deux grandes civilisations plurielles et complexes ?
C’est en reliant toutes ces dimensions que les hommes pourront revoir leurs
concepts et se remettre en question afin de construire « la Terre-Patrie »
d’Edgar Morin qui est aussi « la civilisation de l’universel » dont
Teilhard de Chardin et à son insu Senghor et Bourguiba ont été les porte-paroles.
Les allocutions de Bourguiba nous incitent à
réfléchir sur l’éducation et la réforme de l’Esprit, et par là sur
l’enseignement des langues et des cultures. Certes, les temps actuels se
caractérisent par l’incertitude, mais ce doute éthique, politique et culturel
est certainement la crise nécessaire à toute évolution historique et à toute
régénération de l’Humain. Ce socialisme humaniste est-il à même aujourd’hui de
répondre à une telle ambition ? C’est la question qui nous guidera à
l’exploitation d’autres discours de Bourguiba lors de cette tournée
moyen-orientale.
Il nous semble ainsi que l’analyse des discours
politiques de Bourguiba, nous invite, de part leur contexte historique et leur
contenu philosophique, à aller au-delà d’une simple étude formelle des faits de
langue. Le lecteur du texte bourguibien se trouve face à une multitude
d’informations qui appellent d’autres textes et d’autres discours. La réflexion
sur le Socialisme de Bourguiba et sur ses dimensions philosophiques et
politiques mènent à une reconsidération des autres méthodes d’analyse du
discours politique. Bourguiba appelle à la tolérance et à l’amitié et œuvre
pour une éducation nouvelle fondée sur la synergie des différences. Ce n’est
pas à une politique hégémonique qu’elle appelle, mais à une
« anthropolitique » au sens de Morin où l’homme est la source, la
finalité et l’actant.
Cette
« anthropolitique » qui apparaît en clair dans le discours de
Bourguiba, n’est pas sans rapport avec l’héritage philosophique des Lumières et
poétique des romantiques français. En effet, le style oratoire de Bourguiba
dans le discours de Beyrouth du 10 mars 1965 est assez spécifique. C’est une
méditation philosophique qui en même temps qu’elle évoque un passé glorieux
fait une grandiose invocation aux ruines des civilisations et de la caducité
des empires. C’est ce que l’on retrouve dans les Mémoires d’outre tombe et
l’Itinéraire de Chateaubriand. Bourguiba a sans doute été un grand lecteur des
voyages en Orient racontés entre autre par Volnay qui fit un voyage entre 1782
et 1784 et dont il raconte les impressions et les effets dans son Voyage en
Égypte et en Syrie (1787). Ce sont des lectures qui ont certainement nourri son
pèlerinage oriental. L’exorde de son discours est très proche dans son style de
ce texte de Volnay où une rêverie philosophique condamne le despotisme oriental
pratiqué par les Turcs de l’époque : « Ici, me dis-je, ici
fleurit jadis une ville opulente : ici fut le siège d’un empire puissant.
Oui ! ces lieux maintenant si déserts, jadis une multitude vivante animait
leur enceinte ; une foule active circulait dans ces routes aujourd’hui
solitaires. En ces murs où règne un morne silence, retentissaient sans cesse le
bruit des arts et les cris d’allégresse et de fête : ces marbres amoncelés
formaient des palis réguliers ; ces colonnes abattues ornaient la majesté
des temples ; ces galeries écroulées dessinaient les places publiques (…)
et maintenant voilà ce qui subsiste de cette ville puissante, un lugubre
squelette ! Voilà ce qui reste d’une vaste domination, un souvenir obscur
et vain ! Au concours bruyant qui se pressait sous les portiques, a
succédé une solitude de mort. Le silence des tombeaux s’est substitué au
murmure des places publiques. L’opulence d’une cité de commerce s’est changée
en une pauvreté hideuse. Les palis des rois sont devenus le repère des
fauves ; les troupeaux parquent au seuil des temples, et les reptiles
immondes habitent les sanctuaires des dieux ! …ah ! Comment s’est
éclipsée tant de gloire ! … comment se sont anéantis tant de
travaux !…ainsi donc périssent les ouvrages des hommes ! Ainsi
s’évanouissent les empires et les nations ! ».
Comme chez
Chateaubriand et Volnay, on retrouve ces
antithèses captivantes pour expliquer la ruine des civilisations dans ce
discours de Beyrouth. Avec tout cet l’héritage poétique, et littéraire, il y a
aussi celui philosophique d’Ibn Khaldoun, d’Aristote et même d’Héraclite.
Bourguiba ouvre déjà par la parole oratoire des perspectives d’universalité
sans commune mesure dans une époque en crise, au sein d’un peuple à la
recherche d’une authenticité et d’une identité aujourd’hui encore à l’état de
chantier. Conscient de cette quête identitaire et culturelle chez les peuples d’Orient, Bourguiba insiste moins sur les
ruines du passé que sur le progrès et la construction d’une culture et d’un
monde où l’homme doit se prémunir de la volonté d’agir et c’est ce qu’il
souligne parfaitement lorsqu’il annonce d’un ton dur « Et de ce fait,
cette contemplation d’un passé à jamais aboli, cette manie d’en chanter la
gloire et d’en exalter les hauts faits, a souvent prêté son refuge aux peuples
fatigués qui, voyant tarir en eux les sources de la vie et s’épuiser leurs
forces créatrices, ne sont plus capables d’assumer leurs responsabilités devant
l’Histoire »
Bourguiba
reprend le discours de la rêverie philosophique pour le dépasser en jouant sur
les antithèses passé/présent, forces créatrices/peuples fatigués. La
contemplation des ruines doit être un moteur de création-recréation permanente
dépassant les clivages religieux, ethniques et politiques afin de construire un
monde d’entraide et d’humanisme, un socialisme en faveur de l’Homme et de sa
Promotion.
Ce discours de
Beyrouth est un espace où le tribun atteint le sommet de son art oratoire. Même
si nous avons travaillé sur la traduction française du texte, cela ne diminue
pas la force des messages d’Humanisme, de Fraternité et de Paix qui sont des
valeurs inhérentes à la Francophonie telle qu’il en parlera dans les discours
de la tournée africaine quelques mois plus tard. La traduction du texte est la
preuve tangible de cette double appartenance de Bourguiba à deux
langues-cultures et de la dimension d’universalité qu’il leur donne. Un transculturalisme
exemplaire si l’on veut mieux vivre les
événements complexes du monde d’aujourd’hui.
Notes
2
Robert Owen (né le 14 mai 1771 à Newtown- mort le 17 novembre 1858)
Socialiste réformateur Gallois. Il est considéré comme le « père
fondateur » du mouvement coopératif moderne. Il cultivait le coton et eut
l’idée de fonder des villages communautaires pour ses ouvriers, des crèches
pour leurs enfants. Ces initiatives font partie d’une ambition éducative qu’il
voulut mettre en pratique. Il met en œuvre ses idées avec succès dans une
filature « New Lanark » en Écosse. Il met aussi en œuvre des
« villages of cooperation » où les agriculteurs pouvaient produire
eux-mêmes leur propre nourriture. Il nous semble important de souligner dans ce
cadre l’expérience des coopératives agricoles en Tunisie et qui échoua pour des
raisons diverses, mais essentiellement parce que les riches cultivateurs ont refusé de partager avec les plus pauvres
qui se sont présentés massivement et qui se sont fait dépouillés sauvagement
par les premiers.
3
Thierry Ménissier, Éléments de philosophie politiques,
« État », p. 78-79. Éd. Ellipses, 2005.
4
Idem
7 Ibn
Khaldoun, Discours sur l’Histoire universelle, Al Muqaddima, Idem. P65.
8 Traité théologico-politique, chapitre V, in œuvres de
Spinoza, Tome 2, P105, traduction Charles Appuhn, Garnier-Flammarion.
9 Alain, « Société »,
In Définitions, recueilli dans Les arts et les dieux. P. 1086, coll.
« La Pléiade »,
éd. Gallimard, 1958.
10
Bourguiba, Discours.
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