Tunisie : finalités d’un gouvernement théocratique
Depuis que le parti Ennahdha occupe le pouvoir provisoirement
en Tunisie, la mise en place d’un système théocratique au gouvernement, dont
les finalités tournent autour d’une autre islamisation du pays, prend de plus
en plus de force. Une islamisation lente et progressive, inspirée, à contre
courant, du concept, mais toujours sans les contenus, de la politique des
étapes chère à Habib Bourguiba, celle-là même qui a permis la réforme de
l’Esprit engagée par le fondateur de la Tunisie moderne, celle-là même qui,
grâce aux Lumières dont Bourguiba s’était bien nourri, a placé l’Homme au
centre des préoccupations du pays : l’éducation gratuite pour tous et
toutes et la réforme du code du statut personnel de la femme.
Au vu des derniers événements, des
grandes et violentes manifestations salafistes, que ce soit dans l’Université où
récemment au Bardo, à l’Avenue Habib Bourguiba où des comédiens du théâtre de
Tunis furent lapidés et violentés, la modération politique affichée par Ennahdha n’est qu’une façade.
On avait vu, dès le début, le
travail sur le terrain des salafistes, autorisé et béni par Ghannouchi,
lui-même salafiste, et ses acolytes, est une preuve que ces deux courants se
tiennent sur une même perspective : le Djihad pour la cause de l’Islam. Leur
politique perd tout son sens sans l’apport de l’Islam.
Dimanche 24 mars dernier, Les
salafistes ont appelé à tuer les juifs, le ministre des affaires religieuses à
assassiner Monsieur Béji Caied Essebsi à qui on a proposé de prendre en charge le
pays après la révolution et qui prépara les élections du 23 octobre 2011. Il
est parti du gouvernement pour laisser la place à ceux qui ont été élus. Il a
récemment réuni dans un seul front une cinquantaine de partis démocrates autour
d’un nouveau Parti Destourien où
Bourguiba symbolise l’unité populaire et l’inspirateur d’un combat pour les
Lumières faisant ainsi front aux obscurantismes qui secouent le pays.
Le 7 avril dernier, des chômeurs
diplômés, dans un élan de désespoir total face à ce qui se passe dans le
gouvernement Ghannouchi, car c’est bien lui qui mène la danse, ont décidé de
manifester pacifiquement[1]. La
police et les gendarmes, envoyés par le Ministre de l’intérieur, lui aussi
Nahdhaoui, ont violenté les manifestants par des coups et des gaz lacrymogènes.
Une manifestation à l’occasion de la fête des martyrs, le 9 avril prochain, est
prévue par tous les partis de l’opposition, dans toutes les Avenues Habib
Bourguiba de toutes les villes de Tunisie, est annoncée ouvertement et le
Ministre décide d’interdire toute manifestation ce jour-là et dans ces endroits
précis portant le nom du combattant suprême, celui qui a lutté, malgré la
souffrance et l’exil, malgré les tentatives de découragements et les menaces du
colon, pour rendre la liberté à son pays. Il y est arrivé. Les avenues Habib
Bourguiba prennent alors un symbolisme beaucoup plus profond : celui de la
liberté, de la lutte contre les obscurantismes, pour le progrès infini de
l’homme, pour une politique de l’homme et non contre lui.
Le 5 avril, deux jeunes tunisiens
diplômés et au chômage, publient une BD caricaturale du prophète de l’Islam,
ils sont écroués pour atteinte à la morale[2]. Où
va-t-on ?
Au pouvoir, le nouveau premier
Ministre issu d’Ennahdha, détient
selon des sources sûres, une liste de 7000 nahdhaouis
à mettre sur des postes politiques. Il est
en train de nommer des gouverneurs du même parti dans plusieurs villes : à
Zaghouan, le beau-frère de M. Dilou et à Nabeul récemment où même un agneau a
été sacrifié, à l’entrée du gouvernorat. On prépare les alliés proches du parti
pour les prochaines élections gouvernementales qui devraient avoir lieu aux
environ du 24 octobre 2012. Les dates ne sont pas encore fixées et
officialisées. On prépare peut-être aussi, comme l’ont signalés des partis
démocrates tunisiens, un coup d’Etat constitutionnel. Une dictature avec tous
les accessoires est progressivement mise en place. C’est cela la nouvelle
démocratie dont aspirent les Tunisiens ? Permettez-moi d’en douter très
fort.
On bouillonne de rage, le progrès
infini et indéfini si cher à Habib Bourguiba prend encore et toujours une place
de choix dans un pays comme la Tunisie.
Une véritable Politique de
l’Homme est en germination dans un univers où les forces théocratiques tentent,
dans des soubresauts désespérés, mais fermement et bien sérieusement, de
développer leur projet hégémonique.
« Les salafistes avaient plus
peur de Ben Ali que de Dieu. C’est bien réel !! Si ce dernier revenait
avec sa milice impitoyable, il les raserait tous d’un coup », disent
certains sur Facebook. Ils ont malheureusement raison.
Le peuple a libéré le pays de
cette dictature, permit à ceux qui furent opprimés d’arriver au pouvoir et à
leurs amis salafistes de retourner au bercail après des années d’exil à
l’étranger. Il a libéré d’autres des prisons. Ces religieux, sortis de
l’oppression et de la torture, sont en train de faire subir, au peuple
libérateur, leur violence, la même qu’ils ont subie, la barbarie, dont ils ont
eux-mêmes été victimes et qu’ils ont acquise dans l’exil.
Les salafistes et autres
religieux de leur trempe sont nourris de haine et de talion. Ils ne peuvent
imaginer qu’en Tunisie on ne puisse être comme eux, qu’on refuse d’adhérer à
leur plan, qu’il y ait des personnes athées en Tunisie, laïques, démocrates,
assoiffées de tolérance et de liberté, ne demandant que le respect mutuel. La
pensée tunisienne n’est pas une pensée islamiste, elle est douée d’intelligence
car profondément complexe. Elle porte les empreintes de divers peuples et
cultures qui ont traversé ses ports, qui s’y sont installés, qui se sont
mélangés aux autochtones, qui ont donné non seulement de leur temps, mais aussi
de leur sang, de leurs pensées, elles aussi complexes car nourries d’autres
ports et pays qu’ils ont traversés avant d’arriver en Tunisie.
La Tunisie est une mosaïque de
couleurs : si berbère, carthaginoise, si romaine, grecque et espagnole, si
italienne, turque et française, si arabe, occidentale et orientale. Les Islamistes
auront du pain sur la planche et ils le savent : ils sont incapables de
changer des siècles d’héritage sculpté dans l’Esprit tunisien, inscrit sur son
sol, gravé comme sur une pierre au plus profond de la mémoire de cette
population toujours tunisienne. Il ne s’agit pas là d’un chauvinisme mesquin,
c’est un universalisme qui inscrit la Tunisie parmi ces peuples intelligents
qui ont toujours su être là, lorsque l’Histoire leur donna rendez-vous. Le
passé du pays l’atteste en tout point de vue ! La capacité qu’a un
Tunisien à s’intégrer là où il est, hormis dans un pays d’obscurantisme, est
une preuve de son universalité. S’il devient obscurantiste, c’est parce qu’il a
été trop longtemps en contact avec la barbarie, ce qui est d’ailleurs commun à
l’humanité
Le danger d’un régime
théocratique est celui du l’immobilisme, c'est-à-dire de la dictature sur le
long terme. Concevoir un État immuable, sous un ornement démocratique, avec un
parlement où les religieux, parce qu’ils ont plus de sièges que d’autres, font
les lois, parce qu’ils se sont investis d’une cause religieuse, et les
appliquent, les imposant au peuple dont elles n’émanent pourtant pas. Le modèle
de l’AKP auquel se sont référés les chefs d’Ennahdha n’est désormais plus
parfait et les dernières élections législatives ont permis d’équilibrer les
forces politiques et pousser ainsi l’AKP à négocier au lieu d’imposer comme il
le faisait avant. En Turquie, beaucoup d’intellectuels sont emprisonnés, des
écrivains, journalistes, de libres penseurs qui tiennent tête au gouvernement
islamiste toujours en place depuis douze ans. Comme tout gouvernement
islamiste, comme tant de dictatures du Moyen-Orient et de l’Orient arabe, comme
ces despotes de l’Afrique et du Maghreb, il s’arrangera toujours pour y rester
le plus longtemps possible.
Au Mali, c’est Al-Qaeda qui mène
le jeu, formée par Qaddafi, et on ignore le sort d’un peuple si pauvre, si
miséreux..
La démocratie ne peut se
construire dans l’Islamisme, il faut le dire haut et fort. Ces Islamistes tunisiens
ont leurré le monde entier en prétendant la modération, une valeur dont ils
ignorent le sens et la pratique. Ils se sont comparés à l’AKP turc alors qu’ils
se révulsent dès qu’ils entendent le mot « laïcité ».
Passionnés et assoiffés de
pouvoir, ils aspirent à mettre à genoux un pays libre et qui s’est donné les
moyens les plus forts pour montrer au monde entier qu’il est capable de
construire une démocratie sans contraintes religieuses.
Le rideau est tombé, la mascarade
finie. La liberté est encore à trouver. La révolution est toujours en marche…
[1] Voir l’article suivant
mais les liens sont difficile à coller à cause de la censure qui s’est mise en
place sur l’Internet afin d’étouffer les mouvements de répressions qui se
mettent en place depuis un moment
[2] Cet événement a été relaté
dans le New York Times à ce lien http://www.nytimes.com/2012/04/06/world/africa/tunisia-jails-2-for-facebook-cartoons-of-prophet.html?_r=1&src=tp&smid=fb-share
.
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