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Planet Magic
Planet Magic: Master astrologer Jeff Jawer explains how the planets affect our natures far beyond our birth charts.
jeudi 9 janvier 2014
Cet article est un extrait de la présentation du numéro 6 de Synergies Monde arabe du GERFLINT, que j'ai coordonné avec la collaboration de Monsieur Ibrahim Al Balawi et Madame Antonella Guersetti en 2009.
Recherches francophones sur le récit en arabe classique
Quelques réflexions
La littérature arabe classique a
de tout temps été un objet d’étude, et dans son ouverture à d’autres cultures
littéraires et philosophiques, elle se trouve aujourd’hui dans un carrefour de
rencontres qui l’enrichissent et témoignent de sa vivacité. Les traductions des
récits les plus célèbres sont un exemple de son dynamisme et de son éternelle
capacité à assimiler les divers mondes qu’elle évoque pour s’intégrer elle-même
dans chacun de ceux qui la convoquent. C’est en cela que la pensée arabe
classique peut être considérée comme l’œuvre par excellence d’un humanisme toujours nouveau.
Il apparaît pour beaucoup, selon les traductions que j’ai rencontrées et lues,
que replonger dans l’univers du récit arabe classique est une véritable source
de jeunesse. Des contes tels les Mille et
une Nuits, Kalila et Dimna, Le Roman de ‘Antar, Madjnoun et Leila ; ou encore des textes fondamentaux tels L’Epître du Pardon d’al-Maarri, l’œuvre
qui ressemble étrangement à La Divine Comédie
de Dante, et La Muqaddima d’Ibn
Khaldoun ; des trésors évoquant un monde à part et introduisant le lecteur
moderne dans une nouvelle dimension renforçant un lien indéfectible entre
Orient et Occident dans une totale fusion. La littérature arabe classique prend
ainsi dimension francophone.
C’est ce thème, éternel qui est
traité dans ce numéro 6 de Synergies
Monde Arabe et que j’ai l’honneur de présenter au lecteur. Ma première
réflexion lorsque j’avais conçu l’idée de ce numéro avait été limitée à
certaines œuvres très célèbres de la littérature classique arabe dont j’ai cité
supra certains titres. À ma grande et agréable surprise, je me suis rendue
compte au fil des ces mois où les contributions arrivaient les unes après les
autres, que le domaine est très étendu et que ce numéro n’en est qu’une somme
très restreinte de l’univers très riche du récit arabe classique. Et justement,
ses relations avec l’Occident n’ont fait que l’enrichir davantage pour en faire
une dynamique foisonnante où les hommes semblent entre diversité et unité
s’entendre à merveille. Ma seconde réflexion a porté sur Goethe que j’ai eu
l’occasion de lire et d’étudier à travers une œuvre fondamentale, je pense, Le Divan. Une expérience poétique
certes, mais plongeant dans la sîra
arabe et dans l’Orient, celle qui aura marqué son auteur à vie.
Goethe et l’expérience poétique de l’Orient : Le Divan
Il en fut ainsi pour Goethe
lorsqu’il composa Le Divan en 1814
s’engageant dans un lyrisme d’inspiration orientale avec le profond sentiment
d’une jeunesse retrouvée. En fait, l’Orient a toujours eu une large place dans
l’œuvre de Goethe avant d’atteindre son accomplissement dans ce recueil. Le
drame de Mahomet en 1773, constitue la première initiation du poète à cet
univers étrange que l’Allemagne de la fin du XVIIIème siècle ignorait largement
mais tout en préparant un tel engouement pour l’Orient ! En effet, la
pensée allemande était, à l’époque, placée sous le signe de Rousseau et de
Herder, qui valorisaient l’homme primitif, naturel et naturellement bon au
détriment du civilisé corrompu. Un intérêt de plus en plus croissant pour les
civilisations anciennes habitait les intellectuels allemands. La fascination de
l’Orient par Goethe lui était venue de la Bible. Voilà un
heureux paradoxe !
Mais ce n’était pas aussi étrange
que cela puisse paraître, car dans ses années strasbourgeoises, Herder apprend
à Goethe à considérer ce texte fondateur comme le témoignage de la culture
orientale plutôt que comme une révélation divine. L’une et l’autre pouvaient et
peuvent encore s’entrecouper et se croiser à merveille lorsqu’on se rend compte
que le récit arabe classique est lui-même né du Coran, premier texte de prose
poétique de la littérature arabe. Herder, en écrivant Le plus ancien document du genre humain en 1774 et 1776, ouvrit la
voie à une connaissance plus vaste et plus précise sur la place que tinrent,
dans la culture orientale, des peuples comme les Grecs, les Romains, les Arabes
et les Persans. Il connaissait déjà les textes de Hafiz et traduisit lui-même
des textes de Saadi. Le Romantisme naissant accordait déjà une large place au
pays du Levant, là où les civilisations les plus prestigieuses fondèrent notre
humanisme profond. C’est ainsi que Friedrich Schlegel écrit dans l’Athenäum en 1800 : « C’est en Orient que nous devons aller
puiser le suprême romantisme ». En outre, après avoir dénoncé
l’absence de mythologie à son époque, il annonce dans le Discours sur la mythologie : « C’est en Orient que nous
devons chercher ce qu’il y a de plus romantique et lorsque nous pourrons le
puiser à sa source, alors l’apparence d’ardeur du Sud, qui nous semble
aujourd’hui si attirant, se révèlera comme simplement occidentale et
limitée ». (Schlegel, p. 196). Á l’époque, la découverte du sanscrit
et de la racine commune des langues indo-européennes finit par imposer l’idée
fondamentale que les grands peuples civilisés d’Europe, descendent, avec les
Perses et les Indiens, d’un même peuple primitif. Un des poèmes où Goethe
exprime son extrême ouverture à l’Orient et son humanisme profond fait partie des
pièces posthumes publiées dans Le Divan, en voici quelques extraits :
« L’Occident comme l’Orient
T’offrent à goûter des choses pures.
Laisse là les caprices, laisse l’écorce,
Assied-toi au grand festin :
Tu ne voudrais pas même en passant,
Dédaigner ce plat.
*
Celui qui se connaît lui-même et les autres
Reconnaîtra aussi ceci :
L’Orient et l’Occident
Ne peuvent plus être séparés.
Entre ces deux mondes avec esprit
Se bercer, je le veux bien ;
Entre l’Est et l’Ouest ainsi
Se mouvoir, puisse cela profiter ! » (Goethe, Le Divan, p. 200)
La quête du poète prend justement
la forme d’une synthèse culturelle et d’une quête poétique où il tente en vain,
comme il l’avoue, d’imiter Hafiz, brasier et flots se mêlent pour une
entreprise hardie :
« Hafiz, s’égaler à toi,
Quelle folie !
Sur les flots de la mer,
Rapide, un navire suit la course,
Il sent ses voiles se gonfler,
Il vogue, fier et hardi ;
Si l’Océan le fracasse,
Il nage, planche vermoulue. Dans tes chants légers et rapides
Ondulent la fraîcheur des flots,
La mer bouillonne en vagues de feu ;
La flamme m’engloutit.
Mais je sens une bouffée d’orgueil
Qui m’inspire de l’audace.
Moi aussi, dans un pays de lumière
J’ai vécu et aimé ! » (Goethe, Le Divan, p. 201).
Goethe va découvrir Hafiz à
partir de la traduction de Joseph Von Hammer (1814). La poésie persane se
trouve propulsée au centre de son attention suscitant chez lui un enthousiasme
infini. Il ne s’arrêtera pas à une admiration passive avec un exotisme idéalisant
l’Orient. Mais y trouvera des liens avec sa poésie, qui le surprendront et même
sera convaincu que Hafiz est son alter ego au-delà des différences d’époque et
de culture. Ce fut donc un véritable
choc poétique après la lecture de Saadi, dont les poèmes furent déjà traduits
par Olearius au XVIIe siècle et plus tard par Herder[i].
L’Orient, au-delà d’une simple tentation, devient une part constitutive de la
poésie et de la pensée de Goethe. Ma troisième réflexion concerne une œuvre
maîtresse en littérature arabe classique, celle d’Ibn al-Muqaffa‘ que j’ai lu
et étudié en lycée, il y a de cela plusieurs années. Mais son empreinte, comme
celles de tant d’autres d’ailleurs, demeure intacte. Avant d’avoir connu les
Fables de la Fontaine,
c’était l’allégorie animale d’Ibn al-Muqaffa’ qui m’a mené vers le poète
français.
Kalila et Dimna, de Bidpâi à
Ibn al-Muqaffa‘ : une œuvre qui traverse encore l’espace et le temps
Cette allégorie de la cour
mongole a traversé les siècles, les espaces et les cultures demeurant ainsi
pleinement actuelle. La critique politique y tient une place de choix. Dans sa
récente traduction d’Ibn Al-Muqaffa‘ (vers 750), Ayoub Barzani, annonce ainsi
le dessein de cet ouvrage par la bouche du philosophe : « Quand la faute incombe aux savants,
aux intellectuels et aux sages qui, en gardant le silence deviennent complices
de ce système, il est de mon devoir de me confronter au monarque, au péril de
ma vie ». Le philosophe est l’homme de la sagesse, il en sera ainsi
pendant très longtemps dans les cultures orientales et occidentales.
Nommé également « fables de
Bidpâi », destiné à l’éducation morale des princes, ce recueil a pour
héros deux chacals nommés Kalila et Dimna et faisant partie de la cour du
lion. Le premier est souvent un témoin des ruses du second et de ses sombres
combines.
L’œuvre se place au centre du
politique dans un souci constant de l’homme dans sa quête éternelle de progrès
et de liberté. Les animaux y prennent la relève afin de braver la censure en
ouvrant au lecteur avisé la voie d’un humanisme authentique fondé sur une éthique.
Abdallah Ibn al-Muqaffa,
intellectuel d’origine persane qui embrassa la religion islamique à l’âge
adulte, fut un éloquent homme et possédait une grande connaissance à la fois du
perse et de l’arabe. Ibn al-Nadîm, selon Katia Zakaria (2005, p. 104) disait de
lui qu’« il fut de ceux qui
transféraient la langue persane vers l’arabe, un fin connaisseur des deux
idiomes, éloquent dans les deux ». Mort assassiné à trente six ans, il
demeure un des esprits les plus brillants de la littérature du monde
arabo-musulman classique. Son style didactique, influencé par l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, joint
la fable au conseil. Katia Zakharia (2005, p. 106) l’associant plus ou moins à
Abdel Hamîd, pense que les deux esprits « mènent avec la même rigueur une
réflexion sur les détenteurs du pouvoir et ceux qui, à divers titres, les
entourent. Aussi la prose littéraire naît-elle avec les premiers miroirs des
princes, centrée sur l’édification et la nasîha
(conseil), plus spéculative que narrative, même quand elle emprunte, à des
fins didactiques, l’apparence de la fable ». Au sujet d’Ibn al-Muqaffa,
elle parle d’une « écriture fluide et faussement simple » dite « al-sahl al-mumtani‘ » (le
facile inaccessible) qui semble avoir « fait l’objet d’attaques de la part
de quelques critiques anciens ou modernes. Leur examen montre qu’elles sont
plus idéologiques que scientifiques » (Katia Zakharia, 2005, p. 106). Une
traduction majeure, celle d’André Miquel, du Collège de France, en 1957
intitulée Le Livre de Kalila et Dimna
est encore un témoignage de son importance et de l’esprit qu’elle évoque.
Tant de titres encore comme ceux d’al-Jâhiz (v.776-868), cet intellectuel
mu‘tazilite, successeur d’Ibrâhim an-Nazzâm, dont le système reçut le nom de
théologie dialectique (‘Ilm al-Kalâm), littéralement « science de la
parole » (Ibn Khaldûn, p. 759), qui a participé activement à l’édifice de
la littérature de l’«adab »,
comme Ibn Qutayba et d’autres encore, me ramènent à chaque fois aux sources
d’un humanisme nouveau.
Al-Jâhiz était donc mu‘tazilite
et Ibn Qutayba un sunnite traditionaliste. Cette divergence, dans leur relation
respective à l’Islam (entant que religion et culture), aura permis « d’ancrer l’adab dans son cadre
islamique » comme le note Katia Zakharia (2005, p. 106). Jâhiz avait
écrit Kitâb al-Bukhalâ’ (Le livre des
avares), une œuvre de génie, pleine d’humour et de critique de la société
de son temps. Le rire du lecteur en classe d’arabe n’est pas uniquement le
signe que cette œuvre l’avait bien amusé, mais montre qu’il est vraiment dans
l’esprit de l’auteur. Katia Zakharia, dit justement ceci de ce livre :
« À un premier niveau de lecture, le Kitâb
al-Bukhalâ’ apparaît, plus légèrement, comme une collection d’anecdotes
vraisemblables sans être nécessairement vraies, qui ridiculisent les avares, de
manière générale, et ceux d’origine persane, plus particulièrement, surtout,
quand ils gravitent autour des cercles de savants fréquentés par l’auteur dans
les cours des mosquées (masjidiyyûn).
La générosité comme valeur héritée par l’adab de l’Arabie préislamique est
ainsi mise en valeur. Derrière l’aspect anecdotique, l’ouvrage est une
magistrale pièce de bravoure rhétorique, notamment dans les raisonnements que les
avares tiennent pour justifier leurs actes, maniant avec brio ce que nous
appellerions aujourd’hui le discours pervers. De surcroît, ajoute l’auteur,
l’ensemble de la démarche, associant les valeurs arabes du passé, la
dénonciation des comportements non-conformes au modèle social et l’exploration
des ressources de la langue est en tant que tel ’adab » (2005, p. 109). Son ouvrage «Kitâb al-Hayawân (Le Livre des animaux), demeure sans conteste une
somme non négligeable du patrimoine culturel de l’Arabie préislamique,
dépassant par là même, selon Katia Zakharia, Ibn Qutayba, lui aussi une
référence dans ce domaine.
Pour André Miquel, « fresque
raisonnée de la création animée, l’œuvre d’al-Jâhiz vise ainsi à rassembler la
révélation et la recherche, l’Islam et la Grèce, le tout dans l’éclairage d’une
nouvelle civilisation dont l’arabe, sa langue et sa tradition, sublimée par la
religion musulmane, restent la clé de voûte » (1993, p. 66). Sur le style
d’al-Jahiz et sa culture il ajoute : « Al-Jâhiz se défie profondément
de la Perse,
trop sensible dans les mœurs, les goûts littéraires, les relents d’hérésie et
l’armature même de l’État. L’entreprise d’al-Jâhiz, qui est finalement celle
d’une culture totale et structurée, est servie par un tempérament né d’écrivain,
mieux de prosateur. Souple ou nerveuse, d’une rhétorique très ample ou, au
contraire, difficile à force de concision, la langue d’al-Jâhiz n’a d’autre
ambition que de le servir le plus fidèlement possible. Ne s’autorisant que très
rarement les purs exercices de style et, notamment, les ressources du saj‘, elle est un échantillon admirable
des progrès réalisés, dans l’ardeur de la pensée et des controverses, par le
vieil idiome de l’Arabie désormais promu au rang de la langue de communication
universelle, et ce jusqu’au niveau les plus savants » (1993, p. 67). Cet
univers est en somme un ensemble d’influences à la fois grecque, perse et
arabe. Un de ceux dont l’inspiration allie les domaines de la langue, la
philosophie et l’histoire c’est Abû Hayyân at-Tawhîdi (v. 922-1023) dont le
style simple et élégant rappelle celui d’al-Jâhiz. Aujourd’hui, rien de notre
modernité n’a pu flétrir un héritage aussi immense. La recherche en ce domaine
demeure infinie.
Voici donc des œuvres qui constituent, mais non exclusivement, le fond
littéraire du monde arabe et musulman. Il est difficile d’en faire le tour en
une présentation et même en un numéro, comme je l’ai précédemment signalé.
N’empêche qu’il comporte une large et diverse masse de contributions de chercheurs
de tous bords, confirmés ou débutants. Le sujet a été bien accueilli. Voici
enfin un recueil où on a tenté de rassembler, dans une large mesure, des
analyses sur le récit arabe classique, selon des intérêts divers et variés et
ce numéro en est incontestablement la preuve.
[i] Dans Blumen aus
morgenlädischen Dichtern.
Abû-l-‘Alâ’
al-Ma‘arrî. 1984. L’Épître du pardon. Traduction, introduction et notes par
Vincent-Mansour Monteil, préface d’Étiemble. Connaissances de l’Orient,
collection Unesco d’œuvres représentatives, série arabe. Gallimard, nrf : Paris. 318p.
Miquel,
A. 1993. La littérature arabe, PUF : Paris. 128p.
Abû
‘Uthmân ‘Amr Ibnu Bahr al-Jâhiz. 2000. Al-Bukhalâ’.
Dar Sader Publishers. P.O.B. 10 Beyrut : Lebanon. 191p.
Goethe.
1950-1984. Le Divan, Poésie
Gallimard, nrf : Paris. 245p.
245p.
Abî
Hayyân al-Tawhîdî. Kita^b al-’Imtâ‘ wal-mu’ânassa. Manshûrât Dâr Maktabat
al-Hayât. Beyrouth : Liban. 630p.
Ibn
Khaldûn. 1997 (1ère édition). Discours
sur l’Histoire universelle, Al-Muqaddima. Traduit de l’arabe, présenté et
annoté par Vincent Monteil1967-1968, Thésaurus Sindbad : Beyrouth. 1132p.
Zakharia,
K. & Toelle, H. 2005. À la découverte
de la littérature arabe du VIe siècle à
nos jours. Champs Flammarion. 388p.
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